Document du SNPL   "l'Affaire"

 

 

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 La falsification possible ? OUI

UNE FALSIFICATION DES BANDES DFDR ET CVR EST POSSIBLE TECHNIQUEMENT

 

Dans ce qui précède, nous avons passé en revue de façon non exhaustive les incohérences de la procédure d'enquête et les multiples anomalies des enregistreurs par rapport à la trajectoire naturelle d'un AirbusA.320.

Cette convergence de suspicions sur l'intégrité des enregistrements CVR et DFDR aboutit à la question fondamentale: est-il possible de trafiquer les bandes issues de ces fameuses boites noires ?

Dans une fiche technique du 29 septembre 1988, M. CHEMINAL, Chef de Service des Méthodes et Moyens d'Essais du CEV de Brétigny a étudié les possibilités matérielles de trafiquer les bandes. Nous publions cette étude in extenso.  

On s'apercevra à la lecture de ce texte que M. CHEMINAL n'exclut pas la possi­bilité technique de cette manipulation, tout en soulevant des difficultés qui ne paraissent pas incontournables, si l'on avait décidé de s'en donner les moyens.  

Eu égard aux enjeux de cette affaire et à tous les doutes existants sur l'authenticité et l'intégrité des enregistrements CVR et DFDR, rien n'interdit d'affirmer que ces moyens ont été cherchés et trouvés.  

Parlons déontologie

A la fin de son étude, M. CHEMINAL soulève le problème de Ia déontologie qui aurait selon lui interdit toute manipulation correctrice des bandes.  

Il est certes détestable que des professionnels de l'aéronautique en soient venus à mettre en cause l'honnêteté intellectuelle des uns et des autres.

Cet état de fait est la conséquence d'une accumulation incroyable de "BOURDES" par les responsables de l'enquête. Cette accumulation d'erreurs retire tout crédit aux conclusions qui ont été avancées sur les causes de l'accident, et il semble invraisemblable qu'elle ne soit due qu'au hasard.

Si l’on veut être crédible lorsque l'on parle de déontologie, encore faut-il être irréprochable

Rappelons une évidence: il n'y aurait pas eu d'affaire HABSHEIM, telle qu'elle existe  actuellement  si -entre autres choses-: 

- les enregistreurs avaient été dépouillés dans les règles de l'art, des règlements aéronautiques et du Code de Procédure Pénale.

- Des scellés irréfutables avaient été placés sur ces "boites noires" dès leur saisie sur l'avion.

- Ces scellés avaient été brisés et refaits après usage des enregistreurs en présence dès deux pilotes. Ceci est la règle normale s'ils sont survivants et leur présence était possible dès la nuit de l'accident, puisque le CDB était indemne et le copilote très légèrement blessé.

- Ces enregistreurs et leur contenu avaient été placés ensuite avec leurs scellés au Tribunal après usage

Certes, si les résultats de tels enregistreurs, qui auraient été incontestables, avaient mis en cause l'avion, il y aurait eu néanmoins une affaire HABSHEIM. Mais il en aurait été mieux ainsi, car avec la procédure suivie, on a peine à croire 

    . que l'on soit en présence des enregistrements authentiques, avec le scandale que cela implique 

     . que l’avion soit totalement hors de cause;

         Un seul désastre aurait suffi ! 

 

CENTRE D'ESSAIS EN VOL

BASE D'ESSAIS DE BRETIGNY S/ORGE                         BRETIGNY, le 29 septembre 1988

SERVICE DES MÉTHODES ET MOYENS D'ESSAIS

FICHE TECHNIQUE

0 B J E T : Réflexions sur les possibilités de modifications des informations inscrites sur une bande magnétique d’accident.

Des déclarations diffusées par les médias, à propos de l'accident de l'A 320 de HABSHEIM, et mettant en doute la véracité des informations diffusées par les services officiels ont amené le C.E.V. à s'interroger sur les possibilités de falsification des bandes magnétiques issues des enregistreurs de paramètres.  

Il va de soi que toute fraude sur les résultats seulement, sans modification de la bande d’origine, s’exposerait à un démenti retentissant puisque d’autres centres sont à même d’exploiter une telle bande magnétique, y compris à l’étranger, (Etats-Unis et Grande Bretagne notamment).

­Notons tout d'abord que l'information se trouve sous forme numérique symboliquement représentée par une succession de 0 et de 1 et physiquement constituée par une succession d'états magnétiques N et S  dus à l'induction magnétique rémanente sur la couche sensible de la bande. L'espace occupé sur une piste de la bande magnétique (largeur I mm environ) par un bit d'information est d'environ 15 microns (0,015 mm) et ne permet pas de faire un changement ponctuel de bit pour modifier la valeur d'un paramètre . Il convient d'ajouter que la correspondance entre les états logiques 0 et 1 et les états magnétiques associés n'est pas aussi simple qu'il y parait car, pour des raisons de bande passante du canal d'information constitué par l'ensemble tête magnétique/bande magnétique, le codage utilisé est le biphasé et de ce fait la séquence magnétique qui code un état logique 0 ou 1 dépend des états logiques adjacents. Enfin la difficulté est encore accrue du fait que le message entier est une succession de bits jointifs et que rien ne permet de distinguer le début d'un paramètre. Pour parvenir à isoler un paramètre il faut réaliser une dé commutation du message qui s'obtient par lecture en continu et traitement électronique du message qui permet de repérer des mots à valeur fixe et récurrence périodique (les mots de synchronisation), les mots mesure étant repérés derrière ces mots particulier: par leur rang, tous les mots mesure ayant même longueur (12 bits) et représentant généralement la valeur instantanée d'un paramètre. La lecture d'une bande magnétique ayant par la nature des choses un caractère dynamique (défilement de la bande devant une tête de lecture) il est quasi impossible de localiser physiquement un bit donné sur la bande.  

On peut donc affirmer qu'aujourd'hui il est impossible de modifier la valeur d'un paramètre dans un message sur la bande d'origine. Il serait seulement possible de détruire localement le message par application d'un fort champ magnétique continu sur une zone de la bande ou par superposition d'un signal similaire, sur une partie de piste enregistrée, à l'aide d'un système de défilement et d'une tête magnétique d'enregistrement adéquate.

Si la modification ponctuelle n'est pas possible il est par contre techniquement envisageable de substituer au message d'origine un nouveau message. Cette opération se traduirait automatiquement par une perte de  synchronisation au début et à la fin du nouveau message mais pourrait passer pour normale s'il s'agit de l'enregistrement d'un vol complet car l'arrêt du défilement de l'enregistreur entre 2 vols entraîne forcément une désynchronisation.

Cependant avant d'envisager de falsifier un message il faudrait s'assurer que cela est bien "nécessaire" et donc lire la bande et analyser les résultats. Pour effectuer une lecture, la bande provenant d'un avion accidenté est systématiquement démontée, même si extérieurement l'enregistreur parait en état de fonctionnement, par mesure de précaution. Dans le cas de l'enregistreur FAIRCHILD F .800 de l'A 320 la bande étant enroulée en boucle sans fin sur une platine spéciale, son démontage nécessite de la couper, la coupure correspondant à la fin du dernier vol. 

Supposons qu'après lecture une falsification soit décidée pour masquer une défaillance quelconque en générant un message correspondant à une partie ou à la totalité du dernier vol. Il faudrait alors résoudre 2 problèmes: Comment   créer le nouveau message et comment l'enregistrer. Ce dernier point est sans doute le plus simple mais n'est pas évident. En effet le seul équipement disponible pour l'enregistrement est l'enregistreur de bord et il faudrait alors, soit reconditionner la bande sur un enregistreur opérationnel ce qui n'est possible que chez l'équipementier (et encore avec réserves car il n'est jamais monté que de la bande neuve et l'on doit disposer pour le chargement d'une longueur supérieure à celle qui constituera la boucle sans fin)) soit utiliser une bande neuve ce qui serait sûrement plus confor­table. Dans ce dernier cas, après enregistrement du message dont nous exami­nerons plus loin les difficultés de création, il faudrait encore recopier tous les vols précédents issus de la bande originale car l'autonomie est de 25 heures. Le matériel n'étant pas prévu pour cette fonction il faudrait réaliser un dispositif électronique relativement simple dont l'étude, la réalisation et la mise au point ne devrait pas excéder 1 semaine.  

La difficulté principale résiderait dans la création du message de substitution. La procédure la plus simple consisterait à monter un enre­gistreur muni d'une bande neuve sur un avion similaire et à refaire le vol ce qui serait trivial dans le cas d'un accident. Sinon il faudrait recréer le message à partir de paramètres simulés. Cette opération, intellectuellement envisageable, conduirait à des développements informatiques lourds, longs et coûteux qui représentent de nombreux hommes-mois ainsi qu’à une réalisation électronique complémentaire propre à chaque couple avion-enregistreur (le choix de l'enregistreur sur un avion dépend largement de la compagnie utilisatrice). Dans ce travail d'élaboration d'un vol fictif de substitution il faudrait aussi tenir compte de tous les éléments invariables tels que :  

- les horaires de mise en route, de décollage, d'accident

- la cap de la piste

- l'altitude de la piste

- la pression atmosphérique du lieu

- cohérence avec les contacts radio

- cohérence avec les contacts radar

- cohérence avec les témoignages (connus et à venir)

tous ces éléments n'étant pas forcément disponibles au moment de l'exploitation. Enfin il faudrait tenir compte de la cohérence des paramètres entre eux qui, par les lois de la mécanique du vol, met en jeu un très grand nombre d'équations indépendantes (l'Airbus A 320 enregistre 209 paramètres ou tops sur son enregistreur d'accident).

En conclusion si l'on ne prend en compte que les contraintes technique, financière et temporelle il paraît aujourd'hui tout à fait irréaliste de tenter de modifier une bande d'enregistreur d'accident. Je n'ai pas évoqué l'aspect déontologique du problème qui constituerait certainement un dernier rempart très difficilement franchissable.  

 En tout état de cause la fourniture rapide de résultats validés   représente une excellente garantie contre toute tentative de tricherie.

Le Chef du Service des MÉTHODES

et MOYENS d'ESSAIS de BRETIGNY

A. CHEMINAL  

 

 

COMMENTAIRES DU SNPL SUR LA FICHE DU CEV

Cette fiche de M. CHEMINAL, Chef du Service Méthodes et Moyens d'Essais du CEV confirme que la falsification d'un DFDR est une chose possible.

Bande originale DFDR trafiquée ? Certainement pas.

On conviendra avec le rédacteur que la falsification des bits sur la bande originale est quasi impossible, sauf à apparaître grossièrement.

Encore faudrait-il disposer à coup sûr de la bande originale. Ce qui n'a jamais été établi avec la certitude que l'on doit attendre d'une pièce à conviction dans une affaire où il y a des victimes.

  Substituer à l'original une bande trafiquée: oui, c'est possible.

M. CHEMINAL soulève les problèmes de la création de la bande nouvelle et de son enregistrement.

Au sujet de l’enregistrement

L'expert BOURGEOIS indique dans son rapport du 6 juin 1988 (Cf 4-2) que la "bande pourrait être recopiée dans n'importe quel centre équipé du matériel nécessaire". Est-on sûr qu'un tel centre n'existe pas dans le Sud Ouest de la France !

Si on imagine une "manip" consistant à recréer une bande modifiée du vol, 25 minutes y compris la mise en route et le roulage, on conviendra qu'il est aisé de la coller à la bande correspondant aux paramètres enregistrés dans les quelques 24 heures précédentes. Il suffit ensuite de recopier cette bande pour que la coupure physique de la bande disparaisse. Il ne reste pas non plus de trace informatique, car l'alimentation du DFDR est coupée sur A.320 cinq minutes après l'arrêt des réacteurs. Entre deux vols, tout est permis sans traces.

Donc, si l'on dispose d'un moyen de reproduction, il est aisé de substituer un morceau de bande à un autre

M. CHEMINAL nous affirme benoîtement qu'il faudrait environ une semaine pour réaliser le dispositif électronique nécessaire à cette manipulation. Peut-on faire remarquer qu'il s'est écoulé dix jours entre l'accident et la date de restitution à la justice des enregistreurs, dont une semaine de refus d'obtempérer à une décision judiciaire.

Remarquons également que ce problème de copie n'en est pas un, puisque plusieurs copies ont été effectuées, dont une pour Air France.

  Au sujet de la création d'une bande modifiée par rapport à l'original

M. CHEMINAL reconnaît que cette création de paramètres simulés est « intellectuellement envisageable, mais conduirait à des développements informatiques lourds, longs et coûteux. »

On notera que soulever ce problème du coût de l'opération lorsque l'on connaît les enjeux de cette affaire relève d'une candeur... attendrissante! Ou peu crédible !

Quant à la difficulté de réalisation, M. CHEMINAL donne des affirmations, là où il faudrait une démonstration.

  Si effectivement une opération informatique devait être effectuée en partant de rien, cela prendrait du temps et des   moyens. Mais qu'en est- il si cette opération est réalisée à partir des moyens d'essais qui ont servi à mettre au point les commandes de vol du A.320 ?

  Pour apprécier cette possibilité, on jugera aux meilleures sources à la lecture ci­-dessous d'un extrait de la revue de l' Aérospatiale de février  1990.

«Début 84 fut mis au point un autre outil dénommé "simulateur de développement A.320" mis en place dès que les résultats d'une importante campagne d'essais en soufflerie permirent d'élaborer un modèle aérodynamique prévisionnel spécifique à l'A.320. L'ensemble du système commandes de vol fut simulé par le logiciel; cette solution a permis une grande souplesse d'adaptation aux multiples itérations résultant des essais effectués lors de la campagne de mise au point initiale des lois de pilotage.

Enfin, vinrent trois simulateurs dits "d'intégration ". Mis en service un an avant le premier vol, ils supplantèrent progressivement les deux premiers puisqu'ils incorporaient un très grand nombre d'éléments réels de l'avion dont les calculateurs (dits aussi boites noires). Comme leur nom l'indique, ils furent essentiellement destinés à tester le fonctionnement, l'intégration, la compatibilité, le processus de dialogue de l'ensemble des calculateurs dans un univers proche de celui de l'avion réel. L'un deux peut même être couplé au "banc général" baptisé "Iron bird", fidèle réplique à l'échelle 1 de l'ensemble des circuits de génération et de distribution des énergies hydrauliques et électriques de l'avion. Pour ce qui concerne les commandes de vol, ce banc général incorpore même les servocommandes réelles...»

Que ne peut-on faire avec un tel engin !

Manipulation du CVR : chose très aisée

Le CVR est une bande magnétique sans fin de 30 minutes (plutôt entre 31 et 32).

On conçoit que de façon encore plus facile que pour le DFDR, il est aisé de couper un morceau pour le remplacer par un autre moins compromettant. Ou ne pas le remplacer en raccourcissant la bande.

La précaution à prendre est de faire les coupes sans remettre en cause la synchronisation du CVR avec le DFDR et les communications enregistrées à la tour de contrôle de Mulhouse.

Ensuite, c'est un jeu d'enfant de recopier cette bande recollée, pour la faire apparaître comme une bande sans coupures.

Seule une analyse spectrographique permet de mettre en évidence ces coupures, si elles ne sont pas trop habilement dissimulées.

Cette analyse spectrographique a été réalisée chez CFM, constructeur des moteurs et donc juge et partie. Aucune garantie d'authenticité n'est amenée de la bande étudiée. Le SNPL s'est vu refuser la transmission de cette expertise.

Au sujet de la synchronisation DFDR - CVR

Il est singulier qu'il ait fallu plus d'un an à la Commission d'Enquête Administrative pour établir un minutage définitif du CVR !

Il semblerait évident à tout observateur de bon sens que le DFDR et le CVR ayant des systèmes d'enregistrements différents, on ne doit pas avoir de mal à :

-  établir le minutage de chacun.

-  constater qu'ils sont en phase.