Document du SNPL " l'Affaire"

 
     
 

 

 

Présentation 

HABSHEIM  OU  LA  RAISON  D’ÉTAT

 

Le 26 juin 1988 par un temps superbe, l'Airbus A.320 présenté en meeting à Habsheim s'écrasait en bout de piste, bien que doté de calculateurs et automatismes sophistiqués qui devaient éviter ce type de catastrophe aérienne.

Ce fut un choc douloureux pour Airbus, Air France et les pilotes de ligne français, tous très attachés au succès d'une industrie aéronautique que la France porta sur les fonds baptismaux.

 

Immédiatement après le crash, les autorités et le constructeur ont voulu blanchir l'avion en chargeant les pilotes. Nous ne tomberons pas dans un manichéisme simpliste et opposé qui exclurait la possibilité d'une responsabilité des pilotes.

Mais qu'en est-il réellement ?

Responsables de leur trajectoire, les pilotes le seront toujours, mais pour autant qu'ils ne soient pas trahis, trompés par la technique. A chacun ses responsabilités.

  Dès sa sortie de l'avion, le Commandant de Bord, Michel ASSELINE, déclara que les moteurs n'étaient pas repartis. Dès lors, une enquête minutieuse et irréprochable s'imposait, tant sur la procédure que les méthodes d'analyse, afin qu'à l'issue de cette enquête, les responsabilités diverses puissent être établies.

La recherche de cette vérité fut compromise dès le soir de l'accident. Les enregistreurs furent soustraits au contrôle judiciaire, pour dix jours, avec l'approbation des hauts fonctionnaires qui avaient pour mission de faire respecter le droit et les règlements.

Dans un pays anglo-saxon nul doute que ce laxisme surprenant aurait provoqué un scandale immédiat. En France, qui se veut un pays de droit, la réalité fut toute autre.

  Trois enquêtes ont été menées à leur terme pour expliquer ce crash :

             - Celle confiée à la Commission d'Enquête Administrative de la DGAC,

             - L'expertise judiciaire confiée aux experts AUFFRAY et BOURGEOIS.

        - Enfin, celle de la Commission d'Investigation interne à Air France.

Malgré les anomalies de procédure et des constatations bizarres relevées sur le dépouillement des enregistreurs de vol effectué par le Centre d'Essais en Vol de Brétigny, aucune de ces commissions d'enquête n'a jugé utile de mener des investigations déterminées et sans complaisance, pour établir si la trajectoire obtenue des enregistreurs correspondait à celle réellement suivie par l'avion. On a délibérément ignoré certains éléments qui pouvaient conduire à une réalité que l'on ne voulait surtout pas découvrir.

     Pour jouer son rôle de défenseur des intérêts de la profession et des deux pilotes ASSELINE et MAZIERES, le SNPL n'eut guère de moyens OBJECTIFS d'enquête avant le début septembre 1988, où nous disposâmes enfin de la transcription du CVR et des listing du DFDR.

     Jusque là, seules étaient disponibles les déclarations de Michel ASSELINE sur la non reprise des moteurs, qu'il fit à la sortie de l'avion accidenté, Il s'y est ajouté l'analyse de notre collègue pilote Norbert JACQUET, qui au vu de la trajectoire enregistrée sur la bande vidéo, a fait état publiquement de ses suspicions sur les causes de cet accident (avec les conséquences que l'on connaît : retrait de licence pour de prétendues raisons psychiatriques et licenciement de la Compagnie AIR FRANCE sans indemnités).

     La presse fut par contre informée du contenu du CVR et du DFDR par des indiscrétions distillées, visant à faire porter toute la responsabilité de l'accident sur les pilotes. Ces fuites contraires aux conventions internationales de l'Aviation Civile furent rendues possibles par le manque de rigueur pour le moins étonnant, voire éminemment suspect des intervenants de l'Administration.

     Devant les nombreuses anomalies dans la conduite de l'enquête et l'étude des enregistreurs, le bureau Air France/SNPL rédigea le 11 septembre 1988, une synthèse intitulée "Crash A 320 : des enregistreurs à géométrie variable, des anomalies, des incertitudes, des incohérences". Ce titre évoque le contenu de ce rapport où apparaissent tous les doutes que nous avions sur l'authenticité des enregistrements dépouillés. Ce rapport fut transmis à la Commission d'Enquête administrative. Mais à cette époque, et en l'état de nos investigations, le SNPL estima qu'il eut été irresponsable de porter une accusation publique de falsification, dont on mesure la gravité. Nous espérions alors que la Commission d'enquête administrative saurait accomplir sa mission.

     Nous n'étions pas seuls à douter, et au sein de la commission d'investigation d'Air France, des experts mettent en évidence une chose surprenante : l'intégration des vitesses instantanées, seconde par seconde, donne une distance sol inférieure à la distance orthodromique calculée à partir des coordonnées géographiques ! Or, les coordonnées géographiques et les vitesses ont une source de calcul commune : les centrales à gyrolaser. il s'en faut de 247 mètres, soit 5 secondes de vol, qui sont toujours aujourd'hui portées manquantes à l'appel.

     Au fil des mois et au fur et à mesure que les anomalies se faisaient jour, elles étaient transmises à la Commission d'enquête administrative, dont nous espérions  qu'elle saurait jouer son rôle d'investigation avec détermination, sans a priori, sans complaisance, même pour la raison d'Etat, car un pays doit savoir encaisser les aléas du développement de son industrie. Or le rapport final de cette commission, non seulement ignore ou élude les données qui justifiaient les doutes sur les enregistrements, mais encore occulte certaines données qui pouvaient transformer ces doutes en certitudes.

     Suite à ce rapport final et devant toutes les questions restées sans réponse, le juge d'instruction a décidé en janvier 1990 de confier une contre-expertise judiciaire à deux experts judiciaires, Messieurs Belotti et Venet, tous deux pilotes de ligne chevronnés.

 

      Entre temps, en prétextant un vice de procédure, la Chambre d'accusation de Colmar a annulé certains actes judiciaires pris par le doyen des juges d'instruction de Mulhouse  pendant le congé pour maternité du juge en charge du dossier. Alors que rien ne l'exigeait,  cette Chambre d'Accusation a décidé dans la foulée de retirer le dossier à Madame le Juge  Marchioni, du Tribunal de Mulhouse, pour le confier à un autre juge d'instruction de  Colmar.

  Ce contretemps n'interrompt pas la mission confiée aux deux experts d'enquête sur "l'authenticité et l'intégrité des bandes d'enre­gistrements des paramètres de vol, sur les transcriptions qui en ont été faites, ainsi que sur les conditions d'accélération des moteurs qui équipaient l'avion". (extrait dépêche AFP du 11.01.90).

      De leur côté et indépendamment de la contre expertise judiciaire lancée en janvier 1990, le SNPL développe dans ce document toutes les raisons qui l'amènent à douter.

Les enregistrements de vol présentés dans le rapport final d'enquête correspondent-ils à la réalité du vol accidenté ?

    La raison d'Etat bien souvent évoquée par les responsables politiques arrive toujours à justifier dans certains accidents, suicides, noyades, tout montage qui permette de sauvegarder des intérêts jugés supérieurs, en sacrifiant quelques individus.

     Dans cette affaire de l'accident d'Habsheim, l'Etat doit aujourd'hui rendre des comptes face aux questions posées par la magistrature, les victimes de l'accident et les pilotes de ligne français. il devra expliquer à l'opinion publique pourquoi il a couvert son Administration, malgré les doutes existants, essayé de dessaisir les magistrats chargés d'instruire le dossier, sanctionné l'équipage sans preuves d'une quelconque négligence pour sauver les dogmes d'un constructeur.

           P. GILLE                                  H. GENDRE

Président du Bureau Air France               Président du SNPL

                              

DOCUMENTS de CERTIFICATION de l'avion

                                      

   LEXIQUE

Certains sigles aéronautiques doivent être explicités afin de rendre la compréhension du texte plus aisée pour les non spécialistes de l'aviation.

  BEA : Bureau d'Enquêtes et Accidents. Dépend de l'inspection Générale de l'Aviation Civile (théoriquement au moins). Le BEA relève du Ministre des Transports.

  CEV : Centre d'Essais en Vol. Celui de Brétigny est équipé pour dépouiller les enregistreurs d'avions.

  CVR : Cockpit Voice Recorder. Enregistre les conversations au poste de pilotage sur une bande magnétique sans fin de 30 minutes environ.

  Certification Avion : Opérations d'homologation par l'Administration des performances et matériels d'un avion, en fonction de normes internationales.

  CFM : Fabricant français (SNECMA) avec General Electric ( Etats-Unis ) du moteur CFM 56 qui équipe le A.320.

  DGAC: Direction Générale de l'Aviation Civile.

  DFDR : Digital Flight Data Recorder. Avec le CVR, il constitue "les boites noires" de couleur orange. Y sont enregistrés sur une bande magnétique de 25 heures et de façon digitale plus de 200 paramètres de l'avion.

  FCOM : Flight Crew Operationnal Manual ( Manuel de vol ). Edité par Airbus Industrie, déposé auprès de différentes autorités de l'Aviation Civile des pays clients.

  FADEC : Full Authority Digital Engine Computer. Ordinateur interposé entre les manettes de poussée commandées par le pilote et les réacteurs. Assure les différentes fonctions de réglage de cette poussée en fonction des ordres pilotes transmis par l'intermédiaire du pilote automatique ou la manoeuvre manuelle de ces manettes de poussées.

  OEB : Operational Engeneering Bulletin. Document Airbus pour informer les clients de particularités ou modifications non encore incluses dans le FCOM.

  PHR : Plan Horizontal Réglable, équipe tous les avions de ligne. Situé à l'avant de la gouverne de profondeur, ce PHR (ex plan fixe) est commandé par un moteur hydraulique commandant une vis sans fin qui fait pivoter ce PHR à cabrer ou à piquer. Cette action permet au pilote d'équilibrer l'avion pour n'avoir aucune action à exercer sur le manche à balai, lorsque le vol est stabilisé.

  SFACT : Service de la Formation Aéronautique et du Contrôle Technique. Organisme de la DGAC chargé en particulier de toutes ces questions de suivi technique et de certification des avions.

  VSV : Variable Stator Vanes. Placées sur le moteur, ces aubes permettent d'obtenir un écoulement optimum de l'air, évitent les décrochages du flux d'air sur les compresseurs, et particulièrement lors des accélérations de poussée.